Ecrit en décembre 2008 et publié sur orange
Le soir commençait à tomber. Il était peut-être quatre heures, mais en cette veille de Noël, dans cette forêt de montagne, le soleil de couchait déjà, ne laissant filtrer qu'une lumière blême qui nivelait les reliefs , faisait ressortir la blancheur de la neige qui couvrait le sol et alourdissait les branches des conifères. Le temps était gris depuis le matin, et à présent, la neige s'était mise à tomber à gros flocons lourds et silencieux.
Le silence, juste mis en relief par la chute feutrée des flocons de plus en plus drus, était profond, un vrai silence, sans mouvements, sans bruissements, sans oiseaux, sans aucun son ne montant des chalets, plus bas.
La femme qui gravissait le chemin entre les arbres, le ressentait comme un enveloppement apaisant. Depuis des mois la douleur était là, sourde ou aigüe, lancinante, brûlante, la douleur de l'abandon, de la trahison, du parjure à la foi jurée longtemps auparavant. Et maintenant, lasse de vouloir comprendre l'incompréhensible, elle renonçait à lutter.Elle avait choisi cette soirée pour trouver enfin la paix.
Un an auparavant, elle avait passé là un de ses plus beaux Noëls, le Noël dont elle avait toujours rêvé : juste marcher sous la neige,dans la blancheur et la douceur de la neige, la main dans la chaleur de sa main à lui, son compagnon de toujours.
Ce souvenir la submergea et une boule de douleur l'étrangla. Elle arrivait dans la clairière de Charousse. Les chalets d'alpage étaient inhabités à cette saison.Elle choisit une place immaculée sous un sapin , à la lisière de la clairière, et s'y coucha, recroquevillée comme un animal blessé. Elle ferma les yeux et laissa la paix revenir.
La neige tombait toujours, plus doucement. Ses petites caresses froides la frôlaient. Elle se laissa glisser dans le silence. des images défilaient, et peu à peu, la douleur reflua. Elle sentait le froid de la neige l'envelopper peu à peu et anesthésier la brûlure. Tout devenait sans importance, apaisé, tout allait bientôt finir. Elle ne sentait plus ses membres, son front, son visage. Il lui sembla qu'elle flottait au -dessus de la forme allongée dans la neige.
C'était une sensation étrange...Le temps n'existait plus, plus rien n'existait plus...
Il lui sembla entendre une musique flûtée, harmonieuse et tendre, venue du silence même...C'était donc cela, la "musique des sphères"?
La musique devint plus vive, plus proche et se fraya un chemin dans sa conscience engourdie. Elle écouta, ouvrit les yeux.
Il était là, perché au -dessus d'elle sur une branche et la regardait.Elle reconnut un troglodyte. C'est lui qui chantait avec toute l'énergie dont ce petit oiseau est capable. Incrédule, elle le regardait. Que faisait-il là, ce mystérieux messager, dans ce froid, cette neige, à cette heure -ci? Alors que tout était silencieux et endormi, il chantait, il chantait en la regardant...
Une soudaine bouffée de compassion la prit à la gorge. Elle savait bien que si ce minuscule oiseau ne trouvait pas de nourriture, il ne survivrait pas au froid de la nuit.
Son chant était maintenant moins claironnant. Il se taisait par instants, les plumes gonflées pour se protéger du froid. Il la regardait toujours. Alors, elle essaya de remuer le bras. Elle dut s'y reprendre à plusieurs fois. Elle était si engourdie que son corps ne lui répondait plus.
Elle finit par se mettre à genoux, puis , au bout d'un temps qui lui parut très long, par se lever. Elle tituba. Cela faisait des mois qu'elle ne mangeait presque rien. Elle se souvint qu'elle avait - réflexe de randonneuse -emporté, et oublié ,un biscuit pour ses errances solitaires sur les sentiers. Ses doigts engourdis eurent du mal à le sortir de la poche de l'anorak. Elle le cassa en deux sans réussir à l'émietter, puis le posa sur un petit coin de terre protégé de la neige par une racine.
L'oiseau s'était tu. Il ne perdait rien de ses gestes. Elle recula. Il sautilla deux ou trois fois puis se posa près du biscuit. Il la regarda à nouveau et se mit à picorer.
Ils s'étaient tout dit...Elle se souvint de la légende qui raconte que, la nuit de Noël, les animaux ont le pouvoir de parler...Elle resta là un moment. Elle se taisait elle aussi, les larmes lui piquaient les yeux. "Je reviendrai, je reviendrai demain t'apporter à manger " pensa t'elle. Et lentement, elle se mit à redescendre vers la chaleur des chalets....
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